Christian, un Corse au Japon
Christian, Martelli est établi depuis de nombreuses années dans la région de Tokyo au Japon. 
Petite présentation succincte, 52 ans, marié, chef d’entreprise évoluant dans le secteur de l’import/export et de celui de la vente en ligne, ma famille est originaire des régions de l’Altu Taravu, du Cruzzini et de Balagna et je partage ma vie entre Ajaccio et la préfecture de Saitama près de Tokyo.

Comment êtes-vous arrivé au Japon ?
J’ai créé une entreprise d’import de produits destinés aux motos de collection en 2010, Okaeri-Japan, étant moi même collectionneur j’avais de plus en plus de mal à trouver des pièces pour entretenir et réparer mes propres machines et je me suis donc tout naturellement tourné vers les marques et accessoiristes nippons.
Les échanges se faisaient à distance dans un premier temps mais la curiosité aidant je me suis rendu rapidement sur place pour rencontrer mes fournisseurs et visiter des salons.
Je n’avais paradoxalement pas d’intérêt particulier pour le pays avant cela et c’est donc le côté commercial qui me l’a fait connaître.
Je ne parlerai pas d’un coup de foudre immédiat mais d’un processus de séduction qui a fait que je me suis senti à l’aise et à ma place. Les japonais partagent beaucoup de valeurs communes avec celles de notre peuple et nous ne sommes donc pas particulièrement confrontés à des problèmes d’intégration ou de gestion d’un quelconque « choc culturel ».
Le processus de séduction ne s’est pas seulement limité au pays puisque j’ai épousé une japonaise en 2012.

Au détour d’une rue à Kyoto
Que faîtes-vous là-bas ?
Comme indiqué plus haut j’importe des produits destinés à l’entretien et à l’amélioration de motos et scooters de collection, la demande étant relativement importante j’ai du élargir à des véhicules plus récents, y compris non originaires du Japon comme Harley Davidson ou BMW par exemple. La ligne d’importation (ou d’exportation, tout dépend du côté où l’on se place) étant opérationnelle, je propose également des gammes de produits, toujours originaires de l’archipel, mais plus éloignés du milieu de la moto, univers de la pop culture tels que les jeux video, manga, anime, figurines etc etc… mais aussi vêtements et dans une moindre mesure alimentation. J’ai d’ailleurs fait tourner une machine à Kakigori (glace pilée japonaise) dans la région d’Ajaccio l’été dernier et elle a rencontré un certain succès.
Mon activité reste et demeure toutefois liée au mode de la moto, au sens le plus large du terme. Le Japon étant par essence le pays des deux roues il existe beaucoup de petites marques proposant des pièces destinées à la production domestique ou les véhicules importés. Je diffuse une partie de mes produits par l’intermédiaire du site de vente en ligne, cela concerne majoritairement la clientèle de particuliers, les pros se fournissant eux directement chez moi. La clientèle est surtout située dans les pays du nord de l’Europe, Belgique, Allemagne, Royaume Uni, Suède etc etc… j’ai également quelques clients fidèles en Espagne, Grèce et Portugal. Je travaille aussi ponctuellement avec des acheteurs plus éloignés, Amérique du Nord et du Sud, Australie, Hong Kong. La tendance actuelle est à la customisation avec des personnalisations souvent influencées par les préparateurs nippons comme Brat Style à Akabane, un quartier excentré de Tokyo. L’intérêt pour cette culture arrivera peut être en Corse mais ce n’est pas encore le cas pour le moment donc, en attendant, je vends ailleurs.

Parlez nous un peu de Tokyo
Je me rends à Tokyo au moins deux fois par semaine, il faut compter environ une heure et demie de trajet en « Rapid », le RER local. La ville où j’habite est considérée comme petite d’un point de vue japonais puisqu’il n’y a que 80000 habitants. Une grande partie de la population descend tous les matins à Tokyo ou à Omiya et retourne ensuite le soir, souvent très tard. Il y a un peu de vie nocturne ici, bar karaoké bien entendu mais aussi grands centres commerciaux sur plusieurs niveaux, salles de jeux d’arcade plus délirants les uns que les autres.
Je me rends souvent à Shibuya, c’est un peu le quartier branché de la capitale surtout vers Harajuku, Il y a beaucoup de petits troquets avec groupes jouant de la musique live, comme le Jet Robot près de la Takeshita street par exemple. Le parc de Yoyogi mérite aussi le détour, surtout le dimanche car on y rencontre des locaux et des expatriés, souvent vêtus de façon totalement surréalistes, du rocker à la poupée Lolita. Le quartier d’Akihabara est lui aussi très prisé des touristes car il concentre toute l’activité commerciale lié à la pop culture, il est cependant concurrencé depuis quelques années par celui d’Odaiba, une ile artificielle construite de toute pièce dans la baie de Tokyo. On peut y voir entre autre un robot Gundam grandeur nature.

Shinjuku, un quartier où il fait bon sortir le soir tombé à Tokyo
Connaissez-vous beaucoup de Corses au Japon ?
J’ai du croiser deux ou trois compatriotes au cours d’expositions ou de rencontres organisées dans les jardins de l’Institut Français, journées du goût entre autres, mais je n’en connais que deux en statut de résident longue durée, l’un travaille dans la restauration vers Minato Ku et est originaire de l’Alta Rocca et un autre évolue dans le milieu de l’animation et du manga, lui est Niulincu. Le Japon est une destination trop lointaine et peut être trop compliquée d’accès pour les corses, plus que tout autre ce pays se mérite et beaucoup de corses ont traditionnellement peur de quitter l’île…

Le quartier d’Odaiba à Tokyo
Les Japonais connaissent-ils la Corse ?
Les japonais connaissent relativement peu la Corse, ils ont déjà du mal à situer convenablement l’Europe sur une carte, la destination est trop lointaine et ne présente, somme toute, que peu d’intérêt pour eux. Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens il existe de grandes étendues non habitées ici, beaucoup de parcs nationaux et la politique très écolo du pays fait que l’on peut trouver des animaux sauvages tels que des singes ou des tanuki, sortes de gros ratons laveurs, en très proche banlieue de Tokyo, dans les forêt épaisses qui couvrent les flancs du mont Fuji.
La Corse n’a que sa nature et sa gastronomie à offrir et ça les japonais l’ont déjà chez eux, en beaucoup plus diversifié que nous dans la mesure où le pays s’étend de l’ile Hokkaido avec un climat boréal comparable à celui de la Scandinavie ou du Grand Nord canadien à l’archipel d’Okinawa où là l’environnement tropical se rapprocherait de la Polynésie ou des Antilles.
Il existe cependant des initiatives menées entre autres par mon ami le professeur Hasegawa de l’Université de Yokohama, il organise régulièrement des séjours pour ses étudiants en partenariat avec l’université de Corti. Nous avons par ailleurs accueilli une délégation du Comité des Iles Japonaises en mars dernier, ils sont venus étudier le principe de continuité territoriale.

Osaka Castle
Trouve-t-on des produits corses au Japon ?
Je sais qu’un magasin de produits européens de Ginza à Tokyo propose de l’huile d’olive de Balagna, présentée comme un produit de luxe dans des petits flacons, on peut aussi trouver des confitures et, plus surprenant, j’ai même vu de la bière dans une boutique spécialisée située près du Sky Tree.
J’essaie de promouvoir quelques produits mais c’est très difficile dans la mesure où il n’existe pas de réelle infrastructure en Corse œuvrant pour la promotion des produits insulaires sur des marchés aussi éloignés, donc difficiles. Il semblerait que les choses évoluent au niveau de la filière viticole, je suis en contact avec le responsable du Comité des Vins de Corse, secteur Asie, il est basé à Hong Kong et semble motivé. Il y a donc de l’espoir même si ça prendra du temps.

De l’huile d’olive de Balagne au coeur de Tokyo
Un conseil à donner à des corses qui voudraient tenter l’aventure au Japon ?
Comme indiqué plus haut le pays se mérite, il faut donc savoir faire preuve de courage et d’abnégation et surtout réfléchir à ce qu’on peut lui apporter. les domaines d’activités où l’on peut dire que les corses sont meilleurs que les japonais étant relativement restreints mieux vaut ne pas rater son coup.
Il n’existe aucune tradition d’immigration ici et plus de 99% des habitants sont japonais, beaucoup des 1% restant sont des asiatiques, Coréens, Chinois, Philippins etc… autant dire que le fait qu’un Corse vienne vivre en partie chez eux est considéré comme quelque chose de vraiment très exotique.
Autre difficulté, et de taille, le peu d’intérêt qu’ils ont pour les langues étrangères, je ne pourrais pas vivre dans ma campagne de Saitama si je n’avais pas quelques notions de japonais, on peut bien sur habiter dans des grandes villes comme Tokyo en ne parlant que l’anglais mais les choses se compliquent vite dès qu’on dépasse les limites de la mégapole.
Pour terminer le niveau de vie est bien entendu plus élevé qu’en Corse, il faut cependant tenir compte du fait que le modèle est beaucoup plus nord américain qu’européen, un ou une jeune corse débarquant directement à Tokyo ou à Osaka aura du mal à trouver ses marques et se sentira moins « encadré » qu’en Europe, chose à savoir.